Don't Let the Ink Dry

Don't Let the Ink Dry

« C’est un peu comme mettre un enfant au monde », dit l’autrice-compositrice-interprète londonienne Eve Owen à Apple Music au sujet de la sortie de son premier album. « Quoi qu’il arrive, je pourrai le faire écouter à mes petits-enfants en disant : “Voilà mes chansons.” » Mais Don’t Let the Ink Dry n’est pas destiné à n’être qu’un simple souvenir. Après avoir enregistré plusieurs démos à l’âge de 16 ans, l’artiste a capté l’attention de The National qui l’a invitée à chanter sur leur album de 2019 I Am Easy to Find, alors qu’elle n’avait pas encore 20 ans. Sa performance vocale a d’ailleurs piqué la curiosité des internautes qui ont alors cherché à découvrir son identité. « En chantant avec eux, je me suis rendu compte que c’était la vie que je voulais », explique la chanteuse et fille de l’acteur Clive Owen, lui-même un fan de The National qui a eu la chance de rencontrer son groupe favori grâce à sa fille. « Ils sont vraiment inspirants, je pense qu’ils donneraient envie à n’importe qui de devenir musicien. » Don’t Let the Ink Dry, achevé alors qu’Eve Owen avait tout juste 20 ans, s’avère amplement à la hauteur des espoirs que le groupe fondait sur elle. Conçu pendant les vacances scolaires avec Aaron Dessner de The National, dans son studio de Hudson dans l’État de New York, il dévoile les talents de compositrice et la voix ensorcelante de la Londonienne. Ses pièces sophistiquées, des airs folk qui en disent un peu plus long à chaque écoute, sont éminemment personnelles. Elles parlent d’un amour non partagé (l’angoissante « Blue Moon »), du désarroi de l’artiste face à la situation politique contemporaine (« I Used to Dream in Color », qui n’est pas sans rappeler The Cranberries), et du tumulte de l’adolescence qu’elle a laissé derrière elle en allant faire son album aux États-Unis. « Les changements survenus entre le début du projet et sa sortie sont hallucinants. J’étais en train de lâcher l’école, ma santé mentale n’était pas au beau fixe, et j’étais mal dans ma peau », dit la chanteuse, qui a reçu un diagnostic du syndrome d’Asperger pendant la création de Don’t Let the Ink Dry. « Mais j’aime l’idée que ces moments d’incertitude et d’instabilité aient mené à quelque chose d’aussi concret. J’ai mis tout ce que je ressens dans ces chansons, et les proposer aujourd’hui est très libérateur. » Eve Owen nous guide pièce par pièce au fil de ses émouvants premiers pas. Tudor « À l’école, j’avais toujours l’impression d’être la cinquième roue du carrosse. J’ai tout fait pour rentrer dans le moule, mais je suis arrivée à un stade – quand j’ai écrit cette chanson – où je préférais rester en marge de tout ça. Et je n’avais jamais été aussi heureuse. Ce qui a inspiré la pièce, c’est l’idée d’être rejetée par un groupe, mais de s’en réjouir toute seule de son côté. Les chansons de cet album ont une structure plutôt pop, mais cette pièce n’a pas de pont central, juste des couplets et un refrain. J’aime sa simplicité. » Lover Not Today « Aaron a mis un bourdonnement tout au long de la chanson, et moi, j’avais un cliquet. Ça m’a donné un sentiment de liberté sur le plan de la forme, mais aussi de la rythmique. J’aime ce bourdonnement répétitif, parce que c’est complètement à l’opposé du sens des paroles. Pendant toute mon adolescence, j’ai eu l’impression d’être à la traîne. Ça m’a pris des années pour élucider ce que tout le monde semblait avoir compris instantanément : l’amour, ça va et ça vient. J’avais une profonde aversion pour le changement, mais cette chanson enseigne tout simplement qu’on peut aimer quelqu’un un jour et ne plus l’aimer le lendemain, en délicatesse et en détail. » Mother « Ce qui est drôle, c’est que tout le monde pense qu’il est question de ma mère, à cause du titre. Mais ça ne parle pas d’elle. Ça parle de l’instinct et du fait qu’on a davantage d’intuition en grandissant. On collectionne des petites phrases rassurantes qu’on peut se répéter dans les moments de doute. Des mantras, comme “tu le mérites” ou “tu es à la hauteur”, des petites formules pleines de sens, qui aident beaucoup quand on a peur ou quand on se sent dépassé. Au milieu de la chanson, je pousse un cri. Ce n’était pas prévu et ça m’a surprise, je me suis demandé : “Est-ce que c’était ridicule?” C’était la première fois que je jouais de la guitare électrique en studio et je me suis un peu emballée. » After the Love « J’ai écrit cette chanson en réaction aux événements politiques de 2016. Je lisais beaucoup sur les manifestations contre le projet de construction du pipeline au Dakota, et je réfléchissais au fait qu’on ne nous dit qu’une partie de la vérité. Ça me rendait malade que certaines personnes n’expriment pas toute la douleur qu’elles ressentent, qu’elles ne veuillent pas faire d’histoires; elles se font alors écraser par ceux qui parlent plus fort. Musicalement, c’est une pièce très simple, je joue sur trois cordes, mais je ne change de position que sur l’une d’elles. Cet unique changement produit un son presque inconfortable. C’était très étrange. Et j’adore comment Aaron a fait cette pièce : j’entends un battement de cœur dans un des beats, il y a un synthé qui résonne comme une plainte et des pleurs, et les cordes créent un effet d’alerte. C’est une chose vivante. » For Redemption « Pendant l’enregistrement, Aaron a sorti la pédale d’expression qui sert à accentuer les basses. C’est ce qui a donné au refrain ces envolées monumentales et cet ancrage. Avant de partir pour Hudson, j’ai fait une liste des pièces que je comptais jouer et proposer pour l’album. Je les ai classées dans plusieurs catégories, d’abord “les bonnes” et puis les “de moins en moins bonnes”. Je ne pensais même pas faire écouter cette pièce à Aaron, elle était tout au fond de mon porte-documents. Je la considérais un peu comme un mauvais cheval. Mais depuis ce jour-là, j’ai compris l’importance de ne pas prendre sa propre opinion musicale trop au sérieux. Des oreilles différentes entendent des choses différentes, dans différentes chansons. Maintenant, je ne chasse plus aucune idée sans lui avoir donné une chance d’être belle et d’avoir du sens pour d’autres que moi. Au contraire, ma nouvelle approche est plutôt du style : laissons d’abord mijoter un peu les chansons avant de les retravailler. » Bluebird « J’ai un souvenir très précis du moment où j’ai écrit cette pièce. J’étais en voiture avec ma mère et ma sœur, c’était la nuit. Je révisais pour mon examen de physique et j’avais fait exprès de ne pas apporter de cahier : “Tu n’écriras pas de chanson, tu dois faire de la physique.” J’ai tout écrit sur des fiches de révision, et il faisait tellement noir que je pouvais me relire seulement quand on passait sous les lampadaires. Tout a jailli dans une étrange précipitation. “Bluebird”, c’est un oiseau bleu au sens littéral, pour moi. Mais j’aime l’idée que les gens aient leur propre interprétation. Quant à la signification... J’ai mis longtemps à comprendre qu’on ne fait que changer de peau tout au long de sa vie. Je croyais que j’étais condamnée à rester la même. Mais j’ai appris, surtout en faisant cet album, qu’on peut être qui on veut. » She Says « J’aime quand quelque chose de léger en apparence est, au plus profond, vraiment funeste. J’avais 14 ans quand j’ai écrit cette chanson, et j’étais fascinée par la mémoire et comment un souvenir peut être partagé par deux personnes. L’une peut garder un événement en mémoire toute sa vie comme un trésor, tandis que l’autre ne se le rappelle peut-être pas du tout. J’aime cette idée du souvenir qui se fragmente en plusieurs moments, dans différents esprits. Je pensais à ma famille aussi, dans cette pièce. Parfois je me sens terriblement seule et ils m’aident à sortir de ma bulle. Ils sont toujours là pour moi. » I Used to Dream in Color « J’ai écrit cette pièce en 2016, quand j’ai eu l’impression que le monde faisait un bond en arrière. C’est comme si, après avoir vu la vie en couleur, on la voyait en noir et blanc. Le premier vers, c’est : “Well, I got here by boat and I don’t intend to stay” (librement : “Je suis arrivée par bateau et je n’ai pas l’intention de rester.”) Comme si un extraterrestre visitait notre planète sans savoir comment on en est arrivés là, et qu’il était abasourdi par l’horreur du contexte politique qu’il découvrait. J’aime le son de cette chanson, il y a une pulsation, comme quand on est en mer. » So Still for You « J’adore les rapprochements que la musique permet de faire. Ici, le sens de la chanson est profond, mais il s’exprime tout en douceur. C’est tendre et fragile, mais les paroles sont courageuses. Ça dit : “Je suis comme ça, mais pour toi, je serai autrement.” Je ne la considérais pas comme une bonne candidate pour l’album. Je l’ai laissée de côté et en la reprenant plus tard, je me suis dit : “Elle est correcte, en fait.” » Blue Moon « Cette chanson est assez différente des autres de l’album. On a eu du plaisir en l’enregistrant, parce qu’Aaron m’accompagnait à la guitare électrique, alors que pour les autres pièces, on enregistrait tout séparément. Je me souviens que ça m’avait rendue tout énervée, je me prenais pour une star du rock. La pièce parle d’un amour absolu mais non réciproque. J’ai réalisé qu’une des choses les plus puissantes qu’on peut faire est d’accepter que même si notre amour n’est pas partagé par l’autre personne, on peut continuer à l’aimer de loin. J’essaie de voir la beauté dans les choses qui peuvent sembler un peu pitoyables aussi. » 29 Daisy Sweetheart « Cette chanson parle exclusivement de la mort. Je l’ai écrite à une période où j’allais très mal et où je me sentais malheureuse. Je l’avais composée au piano, sans l’enregistrer. En studio, à Hudson, j’ai dit : “Oh, j’avais une autre pièce, mais je ne me souviens plus des accords. Je sais seulement qu’elle est en la mineur.” J’ai donc exploré librement autour d’un la mineur, et Aaron l’a étoffée. Elle fait un peu penser à une chanson d’enterrement, avec les orgues et les synthés – ça résonne un peu comme une fin de vie. Je crois que c’est la pièce qui me tient le plus à cœur, sur l’album. C’est certainement celle que je défendrais le plus. Elle est encore plus proche de moi que les autres. » A Lone Swan « J’ai écrit cette pièce en imaginant un bal de finissants dans les années 50, avec une fille qui chante sur scène. Seulement, l’amour de sa vie danse un slow avec quelqu’un d’autre. Mon père me rappelle toujours ce que j’ai dit en studio pendant qu’on enregistrait ce morceau : c’est une chanson triste, mais qui ne s’apitoie pas sur son sort. Ça me plaît beaucoup qu’elle soit à la fin, c’est comme le calme après la tempête, quand tout redevient paisible et silencieux. J’ai dû me battre pour qu’elle figure sur l’album. Aaron et moi avions nos préférées, mais je tenais à ce que celle-ci soit retenue. »

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