« Y a-t-il une formule magique pour être heureux? » chante Afie Jurvanen dans la première pièce de Sad Hunk, son cinquième projet sous le pseudonyme de Bahamas. Le rockeur torontois ne prétend pas détenir la réponse, mais il fait des heures supplémentaires pour vous décrocher un sourire. Sad Hunk s’engage dans la lignée de l’album de 2018 nommé aux GRAMMY et lauréat d’un prix Juno, Earthtones : un son country soul et soft rock tamisé par la sensibilité sans concession d’un auteur indépendant confiné. Si ces chansons possèdent la familiarité douillette et incarnée des standards radiophoniques des années 70, les solos de guitare joliment décalés (gracieuseté des membres du groupe Christine Bougie et Sam Weber) et les jeux de mots agiles d’Afie Jurvanen donnent à l’album sa singulière personnalité. « Beaucoup de mes chansons évoquent la vie de famille et le quotidien », dit l’artiste à Apple Music. « Mais j’essaie aussi d’être moderne, et c’est difficile à faire quand on écrit pour la guitare. Les artistes hip-hop font des raps à propos des courriels qu’ils reçoivent ou de ce qu’ils regardent sur leurs téléphones à longueur de journée, et c’est cool, ça semble original et d’actualité. Alors que quand on essaie de faire ça avec une guitare, le public n’embarque pas. Mais pourquoi? Je veux écrire des chansons sur ma vie, et sur ce qu’on vit en ce moment. » Parmi ses références terre à terre aux égoportraits, aux cartes de crédit et aux employés de Subway, Afie Jurvanen insère de grands principes immuables, comme le fait de ne pas vivre au-dessus de ses moyens, le choix de ne pas être cool, et le pouvoir du pardon. Il nous dévoile le plan en 10 points de Sad Hunk pour trouver le bonheur. Trick To Happy « Je pense qu’on cherche tous la clé du bonheur. On se fait des illusions en imaginant que ce sera une relation amoureuse, une certaine somme d’argent ou la reconnaissance de nos pairs. Tout en sachant fondamentalement que le bonheur, ce n’est pas ça. Quand on pose notre tête sur l’oreiller le soir, on veut sentir qu’on a employé notre temps à quelque chose qui le méritait, qui a mobilisé notre intérêt et notre engagement. On veut se coucher fatigué. C’est ce que représente la musique, pour moi, et cette chanson dit : ne cherchons pas de formule magique pour être heureux et donnons-nous à fond. » Own Alone « On a un genre d’Olympiques de guitare sur cette chanson! J’ai eu la chance de jouer souvent en public l’an dernier – j’ai fait une tournée en Corée et au Japon, à l’autre bout du monde –, et j’en ai profité pour jouer quelques nouvelles chansons. C’était une de ces pièces où, chaque soir, dès la première mesure, les gens se mettaient à bouger et avaient l’air de triper, sans jamais l’avoir entendue. C’est toujours bon signe. » Less Than Love « C’est une chanson importante pour moi. Elle est assez personnelle. On n’a pas à se poser trop de questions sur les paroles – tout est dit. À un moment, j’ai pensé : “Merde, ce n’est plus la guitare qui me fait vivre professionnellement parlant, ce sont mes chansons.” C’est pour cette raison que je passe beaucoup plus de temps sur les textes que sur la guitare. » Done Did Me No Good « C’est une pièce vraiment le fun pour moi. C’est ce que je peux faire qui se rapproche le plus d’une chanson pop – ou de l’interprétation un peu tordue que j’en fais. C’est agréable d’arriver à un point dans sa carrière où on ne réfléchit pas trop. Quand on est en studio, si je le sens, je me lance. Je sais que ce n’est pas très poussé comme approche, mais le côté instinctif de ce que je fais compte bien plus dans ma vie professionnelle que tout le reste. » Half Your Love « J’essaie toujours d’écrire une meilleure chanson d’amour. J’ai coécrit celle-ci avec Pat McLaughlin à Nashville, c’était ma première collaboration. J’étais là-bas dans le but d’écrire pour d’autres, et finalement on a créé cette pièce ensemble et je me suis dit : “J’aime bien cette chanson... Je pense qu’elle est pour moi!” Elle est très honnête et directe. Peut-être trop pour certains, qui préfèrent les métaphores. Mais j’ai un faible pour les pièces tristes qui débordent d’amour. Je fais toujours référence à “Always On My Mind” de Willie Nelson; elle me brise le cœur. Difficile de faire plus triste que ça. Mais elle est en mode majeur, et la mélodie est joyeuse. J’adore les chansons qui ont cette particularité, et j’espère que “Half Your Love” a un peu de ça. J’ai l’impression que si je la joue dans 20 ans, je me sentirai encore en phase avec elle. » Up With The Jones « Celle-ci est plutôt claire, c’est une chanson qui pose la question : “Prenons-nous vraiment les meilleures décisions quant à nos choix de vie?” Dans mes moments les plus pessimistes, je me demande : “Est-ce que je suis un robot de plus qui a été programmé pour acheter les nouvelles espadrilles de course dont je n’ai pas besoin?” C’est assez facile de se laisser entraîner dans la culture de consommation. » Not Cool Anymore « J’aime vraiment cette pièce. Accepter de vieillir, être bien dans sa peau, vider son sac un peu après le souper de l’Action de grâce, et se moquer de ce que les autres pensent de nous. C’est très libérateur. Devenir père m’a permis de réexaminer bon nombre de mes relations avec les choses, avec la vie et les gens. C’est drôle : avec l’enfant viennent la paire de New Balance et les jeans un peu plus amples, et ça fait du bien! » Can’t Complain « Le sentiment principal exprimé ici, c’est la gratitude. Je me sentirais idiot de me plaindre de quoi que ce soit. Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir fait d’énormes efforts. Ça fait tellement longtemps que je suis musicien professionnel que si ça se terminait demain, je m’estimerais heureux. J’aime travailler, je n’ai pas à me plaindre. Certains aspects sont plus exigeants que d’autres, mais ce sont aussi les meilleurs; on a besoin de défis. » Fair Share « J’ai beaucoup de reconnaissance pour les gens qui s’intéressent à ma musique et j’espère que chacun trouvera le moyen de se tailler une petite place dans ce monde. Mais il ne suffit pas d’attendre un miracle. Je désirais quelque chose, j’ai osé, et mon désir s’est matérialisé, dans une certaine mesure. La chance et le “timing”, entre autres, vont de pair. Mais avant toute chose, il faut de la volonté. » Wisdom Of The World « C’est une chanson très personnelle : mon frère a eu des problèmes de drogue, et ç’a été très dur pour lui et ma famille, donc trouver un moyen d’écrire à ce sujet était très important pour moi. Je me rends compte que s’enfoncer la tête dans le sable n’est pas une solution, il faut pardonner sincèrement aux gens. En fait, ça permet de reprendre un peu le contrôle. Ce n’est pas renoncer au pouvoir : il s’agit de s’en emparer de nouveau. Être rancunier et blâmer les autres est épuisant. Prendre les choses en main, c’est vraiment valorisant, et c’est la seule chose dont je veux me souvenir dorénavant : avoir de l’emprise sur ses défaites, c’est aussi en avoir sur ses victoires, non? »