Marilou a eu une première carrière comme chanteuse lorsqu’elle était adolescente : elle a lancé deux albums et tenu le rôle de Fleur-de-Lys dans la comédie musicale Notre-Dame de Paris. « Ensuite, pour plein de raisons, pour ma santé mentale et parce que je ne me connaissais pas comme artiste, j’ai eu besoin d’une période de silence. Pendant cinq ans, je ne faisais plus de musique, je n’en écoutais plus, je me suis vraiment coupée de mon premier amour », a-t-elle confié à Apple Music. De nouvelles aventures l’occupent : la fondation du blogue culinaire Trois fois par jour et la maternité. Peu après la naissance de sa première fille, Jeanne, l’achat d’un piano sur Kijiji la ramène peu à peu vers la musique. « Plus je vivais des expériences et je gagnais de la confiance, plus j’avais besoin de m’exprimer sur mes sentiments de façon créative et musicale », a noté celle qui porte désormais l’étiquette d’autrice-compositrice-interprète avec Traits d’union. « L’album en soi est un trait d’union entre mon silence et maintenant, mais il y a aussi des traits d’union entre moi et les autres. » Écrites au cours des six dernières années, ses chansons abordent des brisures et des révélations : sa relation avec son frère, une grossesse non désirée, le mirage des réseaux sociaux, le deuil d’un grand-parent et l’amour, la plus précieuse des connexions. Avec la complicité des musiciens Guillaume Doiron et Fred St-Gelais, qui signent respectivement la production et le mixage de l’album, Traits d’union a vu le jour. Marilou nous y invite, pièce par pièce. Les artifices « Quand t’es jeune, tu vas te séparer de quelqu’un et c’est possible que tu n’en entendes plus jamais parler. Mais quand tu as des enfants, la relation doit évoluer, ce n’est plus une coupure, c’est plutôt une transition. “Les artifices” parle d’une relation qu’on a choisie à un moment donné, qui se transforme tranquillement et qu’on a pas le choix de conserver. Je pense qu’il y a beaucoup de parents et d’enfants qui vont se reconnaître là-dedans. » Le temps de rentrer « Je me suis inspirée de l’impression qu’on peut avoir de rentrer à la maison quand on est avec une autre personne. On espère et on attend tellement de l’autre, on voudrait le ou la toucher, l’émouvoir intensément, mais il y a un moment où tu comprends que tu ne peux pas te sentir vraiment chez toi tant que tu ne t’es pas rencontré·e toi-même. » Trop grand ici « C’est la première mélodie que j’ai écrite sur mon piano acheté sur Kijiji. Ma fille Jeanne est venue à côté de moi et m’a dit : “T’es bonne maman.” À cet instant-là, je me suis dit que si j’avais un talent, aussi humble soit-il, il fallait que j’en fasse profiter les gens. “Trop grand ici”, c’est le premier trait d’union de l’album. » Ta lettre « Plus jeune, musicalement, je voulais être cohérente, avoir mon style à moi, mais maintenant j’ai assumé que j’aime toutes sortes d’affaires et que ce qui donne de la cohérence à mon album, c’est ma voix. Au moment d’écrire celle-là, je traversais une période assez sombre. Je suis allée m’acheter un ukulélé et la chanson a jailli en deux minutes. Ça mélange un immense mal de vivre et le bonheur de découvrir un nouvel instrument très joyeux. » Ce vent de septembre « Ça devrait être au printemps qu’on sent le renouveau, mais étrangement, pour moi, c’est plutôt à la fin de l’été, peut-être parce que je suis née en septembre. En marchant dehors pendant une des premières soirées fraîches, j’ai réalisé qu’il y a des choses dont on n’a pas envie de parler, et que c’est correct comme ça. C’est tellement précieux que tu n’as pas envie que les gens le sachent, ni de l’exposer sur les plateformes, à l’ère où on veut tellement tout exposer ce qui va bien dans nos vies. » Trait d’union « C’est une chanson très importante pour moi qui parle de mon enfance et de ma relation avec mon frère. Je fais un parallèle entre lui et moi et mes deux filles. Elles vivent un peu ce que j’ai vécu. Mon frère était le dénominateur commun à mes deux maisons, il était aussi là à l’école. Jeune, on est un peu égocentrique. Je partais en tournée pendant des mois, mes parents me suivaient, et je me suis rendu compte que je ne m’étais pas préoccupée de comment il vivait ça. On avait un grand-papa qui était très impliqué dans nos vies, qu’on aimait beaucoup, et il écoutait tout le temps du country dans l’auto quand il nous faisait des lifts. Pour lui rendre hommage, j’ai voulu que la toune ait une petite touche country. » Le tour de toi « C’est très valorisé socialement de faire le tour du monde, d’avoir des acquis matériels, de consommer, de faire plein de choses. Entreprendre de faire le tour de toi-même – c’est quétaine ce que je vais dire, mais tant pis –, c’est ça le plus long voyage et ça devrait être celui qui est le plus valorisé. Pendant que tu le fais et après, ça devient difficile d’être en contact avec des gens qui restent en surface. En apparence, ils sont bourrés d’expériences, mais si on creuse, ils ne se connaissent pas. La chanson parle de ce décalage-là. » Le cœur des pommes « C’est sur le plus gros deuil que j’ai eu à vivre jusqu’à présent dans ma vie, celui de mon grand-père. Il ne disait jamais “je t’aime”, même si dans ses actions, il le montrait beaucoup. Quand j’étais petite, chaque fois qu’il venait à la maison, je lui répétais “je t’aime, grand-papa”. Sur son lit de mort, il m’a pris la main et m’a dit “je t’aime”, et je suis la seule personne à qui il a dit ces mots-là de toute sa vie. Une image va toujours me rester : j’étais assise sur ses genoux, il mangeait le cœur des pommes et je lui donnais mon cœur de pomme. Je sentais qu’il m’aimait, mais qu’il me l’ait confirmé, c’est le plus beau des cadeaux. » La protagoniste « Celle-là m’a été inspirée par Instagram, par le fait que chaque personne devient la protagoniste des films qu’elle publie. Au début, je l’avais écrite en me plaçant au-dessus de ça, mais à force de faire de l’introspection, je me suis dit que je n’avais pas encore fini de gérer ce désir-là de m’exposer. Alors je l’ai twistée au “je”, en espérant continuer à me défaire de ce rôle-là. » La fumée des bougies « Ouf, pour celle-là, laisse-moi deux secondes… Ça parle d’abus de pouvoir, de dépendance affective, d’hommes qui ne réalisent pas l’impact que leur comportement peut avoir sur des jeunes femmes, de désir, de manque d’éducation. C’est sur une relation entre un homme trop vieux et une fille trop jeune. Depuis le mouvement #MeToo, j’essayais d’aborder le sujet de manière moins accusatrice et plus intérieure, pour parler de comment on peut se sentir quand on vit ça. Le mot d’ordre de cet album-là était que je voulais être dans la vérité, mais en étant toujours respectueuse, pour que personne ne se sente offensé, et c’est ce que j’ai essayé de faire avec “La fumée des bougies”. » À la même adresse « C’est une chanson que j’ai écrite à mon égo, il y a à peu près quatre ans. Maintenant quand j’en parle je souris, parce que je vois que du chemin a été fait. Il y a des moments où on a l’impression que notre égo parle plus fort que nous. Je l’ai souvent laissé prendre des décisions alors que je savais que je me mettais dans le trouble. M’y adresser comme si c’était un parasite, ça m’a fait du bien. » J’en ai parlé/J’en ai parlé (moi aussi) « Ça m’a toujours fascinée que, quand une situation x arrive à deux personnes, elles en aient des versions complètement différentes. Donc j’ai écrit deux chansons qui montrent deux points de vue sur une séparation. On ne saura jamais vraiment c’est quoi la vraie histoire, comme dans la vie. » L’amphithéâtre « Celle-là parle de quand on a un ami ou une amie qui vit dans son monde, qui a un égo fort et qui se met dans le trouble. La personne a parfois des moments de lucidité, mais elle replonge tout le temps dans son pattern. J’avais vraiment l’image de la regarder sur la scène d’un amphithéâtre alors que moi je suis au balcon, et de lui dire : “Écoute, je veux te sortir d’ici, t’amener dehors avec moi, mais est-ce que tu veux vraiment?” » Rose pâle « C’est sur le moment où une femme qui ne désire pas d’enfant voit deux lignes rose pâle sur un test de grossesse. Je voulais écrire tout ce qui se passe dans cette fraction de seconde là. Je l’ai vécu quand j’ai su que j’étais enceinte de Rose, ma plus jeune fille. Je me sentais en manque de choix. La perdre ou me perdre moi me semblaient être les deux seules possibilités. J’ai décidé de me perdre moi et, comme je lui dis dans la chanson, de l’aimer plus tard. » Rosie « Je voulais boucler la boucle. C’est une déclaration d’amour pour cette enfant qui n’était pas initialement désirée, mais que j’ai appris à avoir hâte de voir arriver. Maintenant j’aime tellement ma fille; je voulais lui dire. Je me sens profondément heureuse en ce moment, après des années de tiraillements et de cheminement. Le bonheur, ce n’est pas instantané, même si on dirait que tout doit l’être à notre époque. »
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