Top Minou

Bleu Jeans Bleu n’a pas chômé depuis le succès phénoménal de « Coton ouaté » et son couronnement comme groupe de l’année au Gala de l’ADISQ en 2019. La formation à la prose humoristique, qui combine les genres et les référents musicaux comme on agence les plats dans un potluck, présente Top minou, un quatrième album qui carbure au plaisir. « Les albums des Bleu, en général, c’est pas mal une pizza », a exposé Mathieu Lafontaine à Apple Music. « Il n’y a pas de style défini. On ne voulait pas avoir d’étiquette pour être libres d’aller où on voulait. Alors quand on a une idée, on y va à fond les ballons! »
Avec ses acolytes musiciens François Lessard, Mathieu Collette et Pierre-David Girard, l’auteur-compositeur et chanteur amalgame les histoires de crème glacée, de sandwich, de piscine et de crazy carpet dans un réjouissant touski. « Ça sonne jo-jo énergique, c’est un album de tous les jours, frette pas frette. »
Il nous présente, pièce par pièce, ce projet qui contient une bonne dose de rock (« Bacon en bedaine »), du blues progressif (« Blue jeans blues »), du yéyé (« Molle twist vanille-vanille »), une langoureuse power ballade (« Souper fondue ») et un soupçon de reggae (« Top minou »).
Bacon en bedaine « Faire du bacon en bedaine, ça fait mal. Quand le party pogne dans la poêle, tu réalises que c’est un sport extrême. J’ai voulu raconter ça sur une musique qui serait un mélange de The Raconteurs pis de Led Zeppelin, sur fond de gras qui grésille. Je voulais qu’on sente la petite tension que tu ressens quand tu te fais postillonner de l’huile bouillante sur le chest. C’est la première toune des Bleu qui commence a cappella, avec un cri du cœur qui met bien la table. On a mis des guitares ben rock, on l’a assumé au boutte. »
Molle twist vanille-vanille « Je me suis dit qu’une toune sur la crème à glace, ça allait rendre les gens heureux. Quand le monde va se frencher une molle, le bonheur est dans’ place. Pour l’énergie, je pensais aux jeunes Beatles : des tounes avec une p’tite drive, un genre d’énergie pas tempérée, où ça sile beaucoup, avec un hi-hat [charleston] relativement fort. C’était une évidence que ce serait notre premier simple. »
La pure pureté du beurre pur 100% pur beurre « À l’époque où je travaillais à la microbrasserie Isle de Garde [à Montréal] avec PB [le bassiste Pierre-David Girard], on voyait passer beaucoup de publicités avec le mot “pur”. On s’est mis à s’envoyer des photos de tout ce qu’on trouvait. Ça fittait avec tout le débat autour du beurre et de la margarine. Et comme souvent avec Bleu Jeans Bleu, quand je trouve une brochette de mots comme “la pure pureté du beurre pur 100% pur beurre”, ça devient un beau terrain de jeu pour composer. Musicalement, c’est un peu du néo-eighties, un peu darksynth, avec un solo à la Van Halen et un peu de prog dans le milieu : bref, ça sonne comme du beurre. »
Coco de cuir « J’ai commencé à caler au cégep et j’ai vraiment pas aimé ça, tout le processus de perdre mes cheveux, de trouver des façons pour le cacher, d’angoisser avec ça… J’ai déjà fait une chanson là-dessus dans un projet solo [Matt Track], pour dédramatiser ce qui m’était arrivé. “Coco de cuir” est la version plus avancée, plus assumée. Je suis bien avec ça maintenant, mais je me dis que si j’avais entendu cette toune-là à 24 ans, peut-être que j’aurais pris la situation avec un grain de sel. Dans l’esthétique, j’ai ajouté un peu de soul. Ça me fait penser au swing de Silk Sonic, avec de la tendresse. »
Permis de moto « J’ai remarqué que la moto vient parfois avec une crise de “midlife”. Les gars arrivent à 50 ans et se disent qu’ils vont se mettre à faire du bike. J’ai fait un portrait d’un gars proche de la retraite qui se demande ce qui va le rallumer. Il a un flash de ce que serait sa vie s’il prenait son permis de moto. Y a une esthétique power pop dans le refrain, limite cheesy, avec des brass qui apparaissent à la fin pour rajouter un peu de fromage. Cette chanson-là est un genre de plaisir coupable. »
Blue jeans blues « Y a vraiment un gros pourcentage du monde qui n’est pas capable de dire “Bleu Jeans Bleu”. Par réflexe, on dirait que dans leur bouche le mot “bleu” vire en “blue”. Donc c’est devenu un running gag dans le band et on s’est dit qu’on devrait faire le “Blue jeans blues”. C’est un riff qu’on fait dans nos tests de son, pour rire. En plus c’est un blues en sept, donc c’est comme si on prenait la structure du blues et qu’on mettait la hache dedans en enlevant un temps pour que ça devienne une toune de prog. On a voulu faire deux virgules sur l’album, des petites chansons courtes, alors y a celle-ci et “Top minou”. C’est un peu inspiré de The Carnival de Wyclef [Jean], qui contient un paquet d’interludes succulents. Je me disais tout le temps que j’aimerais ça que ça soit des tounes complètes. Je trouvais ça intéressant de faire la même chose sur notre album. »
Souper fondue « Y a tellement de réconfort dans un souper fondue entre adultes quand les enfants dorment. Chez nous, on ouvre le divan-lit et on soupe dedans. Et quand on fait ça, c’est le fun, c’est comme une “date”, ça replace ben des affaires. C’est une toune lente, pas pressée, on a mis de l’orgue, ce qu’on a pas fait souvent, sauf dans “J’ai mangé trop de patates frites” [Perfecto, 2019]. C’est comme une power ballade, mais avec pas trop de guitare électrique. Le thème extra crémeux me fait de quoi, il a quelque chose de super tendre. »
Y’a quelqu’un qui a botché mon sandwich « Pour quelqu’un qui fait beaucoup de route, c’est une évidence que tu te fais botcher ton sandwich à chaque fois que tu prends une commande à l’auto. Le feeling d’ouvrir ton sac et de te retrouver devant une affaire vraiment tout croche, montée n’importe comment… le manque d’amour dans le montage des sandwichs, c’est récurrent! On en rit beaucoup en tournée, alors je me suis dit : “Pourquoi ne pas en faire un rock fâché, avec une super passe de drums à la fin pour simuler l’accident de sandwich?” Les personnes qui mangent dans leur char vont se reconnaître là-dedans. »
Swing dans piscine « Un moment donné j’avais une conversation avec un voisin. Il était rendu tard et il se demandait : “On fait-tu prendre un bain aux enfants ou on swingue ça dans’ piscine?” Quand tu passes un été à te baigner, j’ai l’impression que tu prends beaucoup moins de douches. Comme y a une bonne teneur en chlore, t’as l’impression d’être propre, même si c’est pas vraiment le cas. Je me suis dit que j’allais écrire un scénario où deux gars ont un peu cette tendance-là. Comme dans une toune de Nirvana, les couplets sont un peu mollasses et dans le refrain ça monte en fou et tu te fais crier par la tête. À la fin de la chanson, le genre de rythmique et le thème de guitare me donnent le même effet que l’album bleu de Weezer, dont j’ai été un gros fan. »
Top minou « La pièce titre d’un album, d’habitude, c’est la grosse affaire, la pierre angulaire. Là, c’est la plus courte. Ça vient encore une fois d’une vieille joke : donner le compte d’une toune de reggae, puis la partir en l’écrasant ben raide. Bob Marley avait beaucoup de ça dans ses shows. C’est tout croche, mais tout le monde est ensemble, faque c’est “top minou”. Et je trouve ça drôle que les paroles ne disent que ça. On a enregistré très très tard le soir avec quelques verres de vino dans le nez, et ça donne exactement ce que j’avais en tête. Dès que ça commence à ressembler à une toune, elle disparaît. »
Crazy carpet « Pendant la pandémie, on prenait plein de marches dans le quartier. Depuis qu’on avait déménagé, j’étais dans le gros jus, c’était pendant la balloune [le succès] de “Coton ouaté”, et on aurait dit qu’il y avait plein de familles que j’avais jamais vues. C’était une journée frette, le voisin venait de finir sa petite glissade derrière chez lui; j’ai glissé et j’ai tellement forcé pour rester sur le ventre qu’un muscle dans mon dos a crampé. Je me suis relevé en disant “Heille, crime, la crazy carpet, c’est pas pour les doux!” et c’était évident que je devais faire une toune avec ça. Ça commence tout doucement, avant d’éclater avec un refrain rempli d’espoir. On trouvait que le crescendo finissait bien l’album. »