It Is What It Is

It Is What It Is

Le quatrième album de Stephen Bruner en tant que Thundercat est placé tout entier sous le signe de la perte — perte sentimentale, perte de contrôle, et perte de son ami Mac Miller, avec qui il échangeait des témoignages d’affection par téléphone quelques heures avant sa tragique overdose, fin 2018. Mais il ne se laisse pas pour autant aller totalement à la tristesse. Comme son prédécesseur de 2017, Drunk — l’album qui avait vu le bassiste/auteur-compositeur, d’abord considéré comme un trublion du jazz fusion, s’affirmer comme l’un des fers de lance de l’avant-garde musicale afro-américaine du 21e siècle — It Is What It Is gravite autour d’un humour quasi cosmique. Il met ainsi sur le même plan afro jazz sophistiqué et R&B pince-sans-rire (comme dans « Innerstellar Love » : « I may be covered in cat hair/But I still smell good/Baby, let me know, how do I look in my durag? » [Même si je suis couvert de poils de chat/Je sens quand même bon/Dis-moi bébé, comment tu me trouves avec mon durag]), tout en mêlant questionnements existentiels (« Existential Dread ») et déclaration d’amour à son ami Louis Cole sur fond de punk chiptune. « Clairement, je me suis pas ennuyé ces dernières années », déclare-t-il à Apple Music dans un soupir. « Mais il reste toujours de la marge pour foirer. » Ce qui ressort finalement de tout ça, comme le suggère le titre, c’est que même si on a tendance à vouloir catégoriser les choses entre le bon et le mauvais, entre ce qui est triste ou joyeux, elles ne sont au fond rien d’autres que… ce qu’elles sont. (Bruner n’en soigne pas moins son entourage : comme sur Drunk, il invite ici une belle brochette de stars, du prodige californien Miguel Atwood-Ferguson à Louis Cole, en passant par les coproducteurs Flying Lotus, Childish Gambino, Ty Dolla $ign, ou encore l’ancien chanteur de Slave, Steve Arrington). Ce qu’en retire Bruner, c’est une sérénité à toute épreuve, et qu’on retrouve tout au long de ce décryptage morceau par morceau. « Il faut faire avec », philosophe-t-il. « Ça fait partie de la vie. C’est pour ça qu’on a choisi ce titre pour l’album — la mort de Mac m’a vraiment fait prendre beaucoup de recul sur les choses. Je suis juste heureux d’être encore là. » Lost in Space / Great Scott / 22-26 « On a juste bricolé un peu avec le claviériste, Scott Kinsey. Je trouve ça sympa de commencer en douceur — faire une introduction en règle, tu vois. Je voulais que les gens sachent dans quoi ils s’embarquent. » Innerstellar Love « Juste avant, on était perdu dans l’espace, et là on est balancés d’un coup dans le vif du sujet. Ça sonne un peu comme un hommage à nos origines musicales, avec Kamasi [Washington, au saxophone] et mon frère [le batteur Ronald Bruner, Jr.] : très jazz, très noir — très intersidéral. » I Love Louis Cole (feat. Louis Cole) « C’est pas très dur à comprendre : Louis Cole fait sans conteste partie de mes musiciens préférés. Pas uniquement en tant qu’interprète, mais aussi comme compositeur et arrangeur [Cole est à la fois un artiste et multi-instrumentiste virtuose en solo, et un membre du groupe KNOWER]. La dernière fois qu’on a bossé ensemble, c’était sur “Bus in These Streets” [sur l’album Drunk]. C’est quelqu’un qui m’inspire beaucoup. Il me motive toujours à faire mieux. J’ai beaucoup de chance de pouvoir traîner avec des types comme Louis Cole. C’est les choses simples, comme quand je mets une droite à un pote à lui et que je m’endors dans son sac de linge sale. » Black Qualls (feat. Steve Lacy, Steve Arrington & Childish Gambino) « C’est Steve Lacy qui a nommé cette chanson “Qualls”, qui est juste une autre façon de prononcer le mot “Walls” [Murs]. Pourquoi “black” walls ? C’était pour évoquer le fait d’être un jeune garçon noir aux États-Unis en ce moment. Il y a longtemps, les personnes noires n’avaient même pas le droit de lire. Si vous vous faisiez attraper en train de lire, on vous tuait devant votre famille. Alors, quand on grandit en tant que personne noire — là on parle d’aujourd’hui — on apprend à cacher ses richesses et son savoir. On est obligé de mettre une armure, de se protéger. C’est pourquoi on n’est pas toujours bien dans sa peau — à cause de ce fardeau. Je crois que c’est quelque chose qu’il faut désapprendre. Mais c’est pas uniquement quand on est noir. Ça concerne tout le monde. On cherche beaucoup à alimenter la peur. Et Internet n’arrange rien. C’est important de savoir qui on est. Ça parle du fait qu’on a le droit de juste se sentir bien. » Miguel’s Happy Dance « Miguel Atwood-Ferguson a joué du synthé sur cet album et a aussi participé aux arrangements des cordes. Encore une fois, j’ai pas fait grand-chose, mais les deux dernières années n’ont pas été faciles. Ça explique pourquoi ça s’appelle “Miguel’s Happy Dance”. » How Sway « J’aime jouer des trucs rapides, des trucs bien durs à jouer. Donc ça, ça s’inscrit dans cette logique — c’est comme un petit exercice. » Funny Thing « Les histoires d’amour parlent d’elles-mêmes. Mais je me dis qu’on a besoin d’être capable de voir les choses avec humour. C’est important d’arriver à en rire. » Overseas (feat. Zack Fox) « S’il y a un endroit au monde où j’irais bien habiter, c’est au Brésil. À São Paulo. Je passerais mes journées à boire du jus d’orange et à jouer de la basse à en avoir des cloques sur les doigts. Donc ça, c’est tout en haut de ma liste. Mais sérieux, il y a aussi le Japon dedans. Le Japon ! Et la Russie ! Bon, la politique est ce qu’elle est, tu vois ce que je veux dire. Mais les gens sont géniaux. Un peu tarés. Mais géniaux. » Dragonball Durag « Le durag, c’est la marque de puissance absolue. C’est pas comme un super pouvoir, mais bon, ça a un effet dans le monde réel. Il y a les gens qui mettent des durags, et ceux qui n’en mettent pas. Moi, j’en ai toujours un sur moi. Mon gars, t’as déjà vu cette photo où David Beckham porte un durag et serre la main du Prince Charles ? Victoria le dévore du regard. » How I Feel « Dans une chanson comme “How I Feel”, y a pas un énorme sens caché [rires]. C’est pas comme si j’avais subi un traumatisme en regardant Les Bisounours quand j’avais six ans, et que j’avais fait cette chanson pour me confier là-dessus. Mais c’est vrai que je regardais Les Bisounours. » King of the Hill « C’est un truc que j’avais fait avec BADBADNOTGOOD. C’est sorti il y a un moment, sur la compilation anniversaire des dix ans de Brainfeeder. On a pas mal cogité pour savoir s’il fallait la mettre sur cet album ou pas, mais au bout du compte on s’est dit que ça marchait bien. Même si on fait de notre mieux pour s’aménager du temps pour travailler avec des gens, quand ils n’habitent pas dans la même ville, et qu’on bouge beaucoup, c’est pas évident. Là, on a finalement réussi à se retrouver dans la même pièce, alors on a sauté sur l’occasion. Mais j’essaie de rester ouvert à tous types de collaborations. Quand c’est magique, c’est magique. » Unrequited Love « Être en couple, tu sais ce que c’est. Parfois on perd, parfois on gagne [rires]. Non mais vraiment, c’est pas drôle [rires]. Parfois, ça arrive — [hilare] — de se faire briser le cœur. » Fair Chance (feat. Ty Dolla $ign & Lil B) « Avec Ty, on passe pas mal de temps ensemble. Lil B est plus dur à capter, mais on voulait vraiment arriver à faire un truc, parce qu’il y a vraiment des gens avec qui il se passe un truc. C’est sans aucun doute le début d’une vraie collaboration entre nous. Le début de quelque chose. Mais pour être honnête, c’est arrivé dans un contexte assez triste. On était tous très proches de Mac [Miller]. Ça a été un moment important pour nous tous. On s’est tous rendu compte à quel point on était proches à ce moment-là. » Existential Dread « Ça parle de prendre de l’âge [rires]. » It Is What It Is « Ça, c’est moi au milieu de tout ça qui dit : “Hey, Mac”. C’est ma chance de dire adieu à mon ami. »

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