Échapper à la nuit

Échapper à la nuit

Les sœurs Boulay ont choisi de reprendre le micro et la plume après une période houleuse, marquée par leur engagement dans les dénonciations d’inconduites sexuelles. « On s’est rendu compte que même si le milieu de la musique nous avait échaudées et même dégoûtées à un certain moment, on n’allait pas pouvoir arrêter d’écrire des chansons. C’est vraiment cet amour-là de la création qui nous a fait renaître de nos cendres », a dit Stéphanie Boulay à Apple Music. Après La mort des étoiles (2019), « un album de désillusion, un peu sombre », selon Mélanie Boulay, Échapper à la nuit porte résilience et lumière. Ce qui n’empêche pas Les sœurs Boulay d’aborder de front plusieurs enjeux comme la violence conjugale et les commentaires sur les réseaux sociaux. Leur nouvel album est en deux parties : la première, écrite après l’accouchement de Mélanie Boulay, est teintée de sonorités électriques et synthétiques, alors que la seconde, créée pendant sa grossesse, est plus près de leurs racines musicales, avec piano et guitare acoustique. Le duo country folk intimiste nous présente, pièce par pièce, cette nouvelle offrande plus pop, produite par leur complice de longue date, Connor Seidel. Je vais te faire danser Mélanie Boulay : « Cette chanson-là part de notre sentiment que l’authenticité n’est pas vraiment célébrée. En société, on vante ce mot-là, c’est une valeur que tout le monde aime, mais dans la vraie vie, les gens ont de la difficulté à entendre la vérité quand ce n’est pas celle qu’ils espéraient. » Stéphanie Boulay : « Les gens ont souvent dit que la musique qu’on faisait était plate, endormante, alors je trouvais ça drôle de commencer l’album avec une toune qui s’appelle “Je vais te faire danser”. Je trouvais ça un peu baveux. » Antigone M.B. : « Ça a été la genèse. C’est arrivé juste après la vague de dénonciations. On était en train de se repositionner dans notre carrière, dans nos grosses réflexions. On se disait que si on continuait, on devait faire la paix avec les choses qu’on laissait derrière. Musicalement, c’est le début de notre nouvelle ère. Robbie Kuster, le percussionniste, est arrivé en studio avec toutes sortes d’instruments vraiment weird, comme des marimbas en verre. Il a commencé à jouer des rythmes étranges, très mystiques, qui ne sonnaient pas très folk. Ça nous a amenées vers quelque chose de plus “chimique” comme son. » Pas sa mère S.B. : « L’idée de celle-là est née de la lecture du livre La blonde de papa, de Valérie Roberts, plus particulièrement de l’histoire de Catherine Brisson. Elle dit : “Mes belles-filles, je ne suis pas leur mère, mais c’est mes filles”, qu’on reprend presque intégralement dans les paroles. Les belles-mères, on nous entend rarement dans l’espace public. C’est tabou, on dirait, de nommer nos difficultés, alors que la moitié des familles au Québec sont reconstituées. J’avais envie que les belles-mères et les beaux-pères, en entendant cette chanson-là, se disent : “Enfin quelqu’un qui me comprend.” » Les lumières dans le ciel M.B. : « C’est notre premier simple et je trouve que c’est la chanson qui va le plus loin dans l’esthétique qu’on soulève sur l’album. C’est la plus pop, la plus chimique, la plus dansante. » S.B. : « On est allées all in dans ce genre-là. On écoute beaucoup de pop, de musique très léchée, chirurgicale, mais on n’était jamais allées là avant. La chanson est née quand j’ai entendu un scientifique dans une entrevue de Radio-Canada qui confirmait que les extraterrestres existaient probablement, alors que ça fait des années qu’on dit que les gens qui parlent de ça ont des problèmes de santé mentale. Je trouve ça cool que l’univers sonore soit un peu ovni. » Comme si S.B. : « C’est une chanson qui parle des liens familiaux pis de leur supposé caractère inéluctable. Ça remet ça en question, ça parle des familles dysfonctionnelles, de violence familiale. Ça a toujours existé, mais on dirait que maintenant, les médias mettent plus l’accent sur les féminicides et la violence conjugale. Le sujet nous touche vraiment, depuis toujours. » T’as gardé le silence M.B. : « Je crois que c’est important que chaque personne prenne sa part de responsabilité, comme société, par rapport aux violences sexuelles. Tout le monde est un peu témoin tout en étant des victimes collatérales. Ces relations de pouvoir sont compliquées à défaire. C’est difficile de savoir comment en parler, si on peut en parler quand ça ne nous arrive pas à nous… C’est quoi notre place dans tout ça, finalement, et comment on peut faire en sorte que ça cesse? » S.B. : « Ça a été une de celles qu’on a le plus réécrites. Pour adopter une posture où on disait les vraies affaires sans mettre trop de sucre autour, mais sans verser dans la culpabilisation. Quand on est arrivées en studio, Connor a sorti un petit clavier boboche et il a mis un arpégiateur dessus. Mel est allée au piano et a juste joué des notes, pis la machine a construit les arrangements. Tu pèses sur un bouton et la toune se déploie, c’est assez magique. » Interlude M.B. : « C’est des petits moments de studio que Connor a rapiécés ensemble. Il a mis des affaires sur “reverse”, il a fait opérer sa magie. Ça prenait un souffle entre les chansons qui sont avant et après. » Surtout, surtout S.B. : « C’est une chanson légère, coquine. On mène les gens en bateau. On pense qu’on s’en va quelque part et finalement, le refrain arrive et on s’en va ailleurs. Ça parle des conflits, des polémiques. On a passé beaucoup de temps sur les réseaux sociaux à s’astiner avec les gens inutilement, on s’est mises dans des états vraiment pas possibles pour rien. C’est un petit rappel à nous-mêmes que quand il arrive quelque chose et qu’on a l’impression que c’est la fin du monde, ben la semaine d’après, il va y avoir autre chose et on va avoir oublié cette affaire-là. » M.B. : « Il y a vraiment beaucoup de couches sonores. En studio, on avait des papiers dans les mains, on les froissait, on tapait sur des cloches, on bidouillait, on faisait des ambiances sonores autour du micro et tout ça s’est comme blendé. Ça fait une espèce de métaphore du bruit ambiant, de tout ce qui se passe en trame de nos vies, des opinions des gens sur les réseaux sociaux. » Faire à la tête de l’eau M.B. : « Quelqu’un m’a dit : “Eille, j’ai une phrase pour toi.” Cette personne-là avait un dégât d’eau, ils n’arrivaient pas à trouver la source et l’entrepreneur a dit : “Faudrait que j’arrive à me mettre dans la tête de l’eau.” J’ai trouvé ça beau. » S.B.: « Ça veut dire comprendre quel est le chemin le plus relax pour s’abandonner dans le courant de la vie. À ce moment-là, j’allais tellement pas bien. J’avais besoin de douceur. Et l’ambiance aquatique des instruments weird à Robbie donne vraiment le ton au texte. » Échapper à la nuit M.B. : « Je trouve que c’est celle-là qui exprime le mieux le projet dans son ensemble. Tout ce qu’on vient de dire s’est distillé dedans et ce qui en ressort, c’est que quand on regarde les années qui viennent de passer, les bons et les moins bons coups dans nos carrières, on se dit qu’on n’aurait pas fait les choses autrement, parce que ça a fait de nous qui on est aujourd’hui. » S.B. : « Je crois que c’était la seule où toute l’équipe était en studio en même temps. On n’était pas heureuses d’où la toune allait et on essayait de lutter. Finalement, le pianiste, Félix Leblanc, s’est mis à jouer des notes bizarres sur un JUNO, un clavier vintage. Comme s’il fallait qu’il y ait un petit côté déjanté, pas trop traditionnel, pour que ça marche. » Tu cherches tes souliers S.B. : « Elle parle de violence familiale, mais du point de vue des enfants. On le voit dans les écoles, à la DPJ, c’est le chaos. Il devrait y avoir un filet de sûreté vraiment mieux adapté… Dans la toune, c’est l’enfant qui parle à son parent violenté. Il ne comprend pas que si maman n’est pas capable de l’aider, c’est parce qu’elle est trop occupée à se protéger de papa. Il voit juste que personne est là pour lui. Ça a été difficile à écrire parce qu’on ne voulait pas que ce soit un blâme pour la victime; on voulait faire un constat. On ne s’est jamais aussi peu cachées derrière des métaphores. On a toujours dit des choses dures, mais on se cachait plus derrière la beauté des mots. Là, on dit les choses pour ce qu’elles sont et je trouve ça vraiment terrifiant… On a toujours fonctionné sur le principe d’aller un petit peu plus loin que le confort, parce que le confort est ennuyant, mais là on est vraiment out! » Laisse aller la vie S.B. : « Ça dit : “OK, c’est fini, je ne laisserai pas tout ça me gâcher. Je vais aller vers ce qui est vraiment important. Une fois que la poussière est déposée, on la laisse là et on n’y touche plus.” » M.B. : « Quand on commence à travailler sur un album, on se fait toujours une playlist. On est arrivées au studio ce matin-là sans savoir ce qu’on allait faire et on l’a fait jouer. C’est parti de la chanson “Sofia” de Clairo. » S.B. : « On voulait faire une toune légère, catchy, avec une esthétique un peu rude, crafty. On voulait casser notre déprime. »

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