In Standard Definition

In Standard Definition

Même si son amour du maquillage et des souliers plateformes l’amène à être souvent catégorisé comme artiste glam rock, Art d’Ecco, un bon vivant de Victoria, en Colombie-Britannique, n’essaie pas de recréer le début des années 70. Il cherche plutôt à synthétiser une myriade d’époques tout en brouillant les frontières entre les genres musicaux comme il le fait avec les diverses identités sexuelles. Sur son deuxième album, In Standard Definition, d’Ecco active le mode turbo sur son approche de l’histoire du rock : à quoi aurait ressemblé un album post-punk écrit par The Plastic Ono Band en 1978? Que serait-il arrivé si Marc Bolan de T. Rex avait vécu assez longtemps pour écrire des succès style MTV? Et si Sparks avait orchestré son retour avec LCD Soundsystem plutôt qu’avec Franz Ferdinand? Le projet est un véritable florilège d’hybrides présentés comme autant de chaînes télé sur cet album concept qui s’articule autour des différents rôles de la télévision dans notre existence : source de divertissement et d’obsession, média qui donne vie à nos fantasmes autant qu’il détruit des rêves. « Cet album porte sur notre relation avec le divertissement », explique d’Ecco à Apple Music. « Il est raconté du point de vue des créateurs – les gens qui évoluent dans le monde du cinéma, de la télé et de la musique –, mais aussi de celui des consommateurs avec qui ils sont en interaction. Finalement, la troisième perspective est celle des personnages qui habitent cet univers. J’ai réalisé que cet album est un peu comme zapper sur une vieille télé. » Partons à la « d’Eccouverte » de chacune des émissions qu’il nous propose dans son programme télé. Desires « J’ai lu l’histoire de l’ancien animateur de Family Feud [La guerre des clans, au Québec], Ray Combs. Après avoir subi un traumatisme crânien, il a tenté de faire un grand retour dans cette industrie qu’il aimait tant, mais il en a été écarté et a fini par se suicider. Quelle histoire tragique! Durant cette même période, j’ai regardé Il était une fois… à Hollywood, qui porte sur un sujet similaire : la vedette de cinéma vieillissante et dépassée qui est forcée à la retraite par la nouvelle génération. Je ne suis pas dans ma prime jeunesse moi-même – je suis dans la trentaine. Toutes ces idées tourbillonnaient dans ma tête et je me suis dit : “Commençons cet album du point de vue de la vedette qui n’arrive pas à lâcher prise, mais qui a besoin de rentrer chez elle et d’y rester.” » TV God « Je me suis inspiré de “Sister Midnight” d’Iggy Pop, tu sais, ce genre de rythmes qui ne sont de toute évidence pas du disco, mais absolument pas post-punk non plus. Ils sont quelque part entre les deux extrêmes avec ce “backbeat” un peu monotone, mais à un tempo qui lui donne quand même de l’attitude. Après, j’ai combiné ça avec l’effet “slap echo” de John Lennon dans The Plastic Ono Band et ces sons de basse ronds et chauds; tout ça a pris forme pour devenir un petit pastiche dans mon cerveau. Ce morceau incarne l’essence même de In Standard Definition : on est tellement obsédés par les célébrités et les artistes, ces individus qu’on considère comme des dieux et qui nous font oublier nos vies ennuyeuses, stressantes et banales. Ce sont de parfaits inconnus, mais ils ont une valeur incroyable à nos yeux. Je trouve ce phénomène vraiment bizarre. » Bird of Prey « Je venais tout juste de faire la connaissance de la femme qui allait devenir ma fiancée. Elle m’a annoncé qu’elle partait en Angleterre pour deux semaines afin de célébrer son anniversaire avec sa mère et je lui ai offert de garder sa maison pendant son absence. On se connaissait depuis seulement un ou deux mois et je m’inventais plein de scénarios de sitcoms des années 80 dans ma tête, du genre que c’était bizarre que je garde la maison de ma nouvelle copine alors que c’était presque une inconnue pour moi… Elle avait une vieille guitare acoustique pleine de poussière dans un coin et elle m’a dit : “T’es mieux de m’avoir écrit une chanson quand je vais rentrer!” Et “Bird of Prey” m’est venue sans effort. » Nothing Ever Changes « La base de mon inspiration vient du projet intitulé Day Fevers que j’ai sorti en 2016. Une des chansons de cet album s’inscrivait dans la plus pure tradition glam avec des guitares acoustiques et électriques, une basse et une batterie – c’était presque la démo de ce morceau. Je me suis dit que cette version était comme la reprise d’un vieux classique hollywoodien et que j’allais essayer de l’améliorer. Je l’ai retravaillée en ajoutant des synthés étincelants façon The Human League. C’est une pièce un peu froide sur le fait de laisser aller quelqu’un et de couper les ponts. Peut-être que c’est le même personnage que sur “Desires”, qui finit par accepter qu’il doit quitter l’industrie du spectacle, mais peut-être qu’il s’agit en fait d’une relation amoureuse. Les deux réponses sont bonnes. » I Am the Dance Floor « Je voulais chanter avec plus d’émotion, une tessiture plus dynamique et avec plus d’attitude, et ça se manifeste dans cette étrange petite chanson dance punk. Je m’imaginais un film où la foule du CBGB ou du Max’s Kansas City prenait d’assaut le Studio 54. Je visualisais carrément une situation comme quand tu te promènes en auto à Vancouver un vendredi soir et que tu vois ces longues files de jeunes millénariaux qui attendent dans le froid glacial, sans manteau, pour aller écouter un DJ ironique jouer des vieux succès de Britney Spears. Pendant ce temps, je me dis : “Attendez que je me mette sur mon 36 pour aller danser et que je vous en mette plein les yeux!” Bref, c’est un amalgame de ces deux mondes. » Head Rush « Je pensais à mon adolescence, quand je suais ma vie dans des cuisines de restaurant en même temps que je découvrais plein d’albums de rock & roll. Repenser à ces souvenirs me faisait vivre un moment de pur bonheur; ils sont comme un film estival pour ados, et j’ai voulu reproduire cette belle nostalgie. “Head Rush” ne parle pas de prendre de la drogue, mais de l’euphorie de la jeunesse. En vieillissant, on se rend compte que ces moments spéciaux comme les randonnées en voiture ou les sorties au cinéma en vélo sont uniques. Les revivre dans notre tête comme un petit souvenir parfait, c’est une exaltation naturelle. J’ai voulu écrire dans cette perspective et utiliser tous les clichés des succès rock classique. » Channel 7 (Pilot Season) « Dans les années 80, il y avait une chaîne qui diffusait l’horaire des émissions défilant de bas en haut, et il fallait attendre que ça tourne en boucle pour voir ce qui jouait à la chaîne 13. Puis, de temps en temps, ça coupait pour une courte publicité du genre “Mangez chez Bob’s Steakhouse pour seulement 2,99 $!” avant de revenir à de la musique d’ambiance. J’ai eu envie d’écrire une chanson qui pourrait jouer sur cette chaîne. Le sous-titre “Pilot Season” est simplement le reflet de l’espoir et du désespoir de tous les acteurs de Vancouver qui se rendent à L.A. en janvier et février, la saison des émissions pilotes. Bon nombre d’entre eux vivent l’échec écrasant de rentrer bredouilles, et je me suis dit que ça ferait un excellent sous-titre qui donne un peu plus de contexte à la musique. » In Standard Definition « Celle-là est assez claire : elle est écrite de la perspective de deux personnes qui regardent la télé au lit, et quand l’autre s’endort, tu peux enfin regarder ce que tu veux. Ma fiancée va s’endormir en regardant The Golden Girls [Carré de dames, au Québec], et pendant qu’elle compte les moutons, je m’évade en regardant un film d’art et d’essai bizarre ou un vieux documentaire qui l’endormirait à nouveau si jamais elle se réveillait. Je sais que bien des gens vivent la même dynamique dans leur couple. C’est très rare que deux personnes aient exactement les mêmes goûts. » Good Looks « Là, je pensais à la vieille façon de rencontrer – “Je vais te présenter mon amie, je crois que vous allez bien vous entendre!” –, et à certaines approches qui seront dépassées dans le futur. On a des technologies qui nous donnent accès à tout ce qu’on veut; je peux regarder ce que je veux quand je veux, et si j’ai envie de sortir avec quelqu’un qui a les cheveux noirs, les yeux bruns et qui mesure 1,78 m, je peux dénicher cette personne dans une app. Sauf qu’on abandonne une grande partie de l’expérience humaine en faisant ça. Je trouve la façon moderne de faire des rencontres un peu insipide et superficielle, alors j’ai eu envie d’en parler. » The Message « Ça, c’est sans aucun doute le moment le plus frénétique, bizarre et interne de l’album. C’est en partie à propos de la vie en tournée et de la façon dont ça peut vous donner l’impression d’être un extraterrestre perdu dans l’espace, du genre : “Je suis où, là, merde?” Alors, pour te rattacher à la réalité, tu allumes la télé pour regarder le téléjournal local ou la météo – juste pour avoir l’impression de vivre une vie normale. Des fois, en tournée, je me sens vraiment déconnecté de moi-même. Il y a de la lumière à l’étage, mais personne n’est à la maison. J’essaie de discuter avec moi-même, mais je ne me sens pas connecté. » Channel 11 (Reruns) « Si vous écoutez la chanson titre et que vous passez ensuite à celle-ci, vous remarquerez que lorsque le synthé bourdonnant et pulsé entre en scène, il reprend la ligne de basse de la pièce “In Standard Definition”. J’ai donc appelé ça une reprise. J’imaginais aussi ces films d’aventure des années 90 comme Jurassic Park [Le parc jurassique, au Québec], où on entend d’immenses sections de cuivres symphoniques. Je voulais que ça représente le côté Jekyll et Hyde des éléments organiques de l’album – les cuivres, les violons, les pianos, le Rhodes et les guitares acoustiques – et des éléments froids et plus durs des synthétiseurs. » I Remember « Ici, je me suis inspiré du travail en solo de John Lennon. On a emprunté la très belle et vieille guitare acoustique de Kathryn Calder [membre de la formation The New Pornographers et épouse du coproducteur de In Standard Definition, Colin Stewart]. Ses cordes sont toutes rouillées et usées. C’est une sonorité que je n’ai jamais utilisée auparavant, mais combinée avec le battement vraiment léger de la batterie, ça adoucit le tout. J’ai aussi fait appel à des musiciens de l’Orchestre symphonique de Victoria; ils m’ont joué cette magnifique mélodie pour la pièce de clôture. Je trouve que cette chanson ressemble au générique de fin d’un vieux film. C’est un beau petit moment sonore touchant qui agit comme un emballage cadeau qui vient ficeler le concept. »

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