aubades

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Après des études au Conservatoire de musique de Trois-Rivières, Jean-Michel Blais s’est éloigné de la musique pour se consacrer au travail social et à l’enseignement pendant plusieurs années. N’ayant cependant pas perdu l’envie de jouer, il enregistre dans son appartement un premier album entièrement constitué de pièces improvisées au piano, désigné parmi les dix meilleurs albums de 2016 par le magazine Time. Pour ce nouvel opus, le compositeur nous emmène complètement ailleurs. « C’était le confinement et j’étais en processus de séparation, seul chez moi après deux ans et demi de tournée », explique-t-il à Apple Music. « Je me suis remis à courir, tôt le matin. J’ai appris le russe et aussi l’orchestration. Le résultat de cet apprentissage, c’est aubades, qui est finalement un recueil d’essais. Ce qui ressort de l’ensemble des pièces, ce sont beaucoup les notions de “lumière”, de “printemps”, de “force”; c’est une thérapie que je me suis écrite, plutôt que de sombrer dans la solitude. » Il ajoute : « C’est comme si j’avais voulu me retirer pour apprendre l’orchestration, sauf que ç’a été imposé par la vie, et tant mieux, parce que je n’aurais jamais pu prendre le temps de m’arrêter. » On suit le parcours qui relie ces mélodies matinales que sont les aubades, pièce par pièce. murmures « C’est une vieille pièce très minimaliste, qui peut faire songer à Philip Glass. Elle évoque l’éveil, le début du jour, mais aussi une forme de changement. C’est encore le matin, mais c’est un autre matin. Chaque instrument se présente, vient dire bonjour, et la pièce se construit lentement. Nous avons placé un micro devant chaque instrumentiste, alors on entend bien les bruits qu’ils font en jouant, leur respiration, etc. Parce que derrière chaque instrument, il y a un humain. La flûte n’est pas seulement une flûte, c’est Myriam! “murmures”, c’est ma façon de découvrir chacune des personnes qui forment l’ensemble. » passepied « Ça vient clairement du “Passepied” de Debussy; j’aime sa réappropriation de cette vieille tradition baroque. C’est un peu ce qu’on fait en néo-classique, reprendre des concepts anciens pour les mettre à la sauce d’aujourd’hui. Je trouvais ça audacieux de commencer une pièce sans le piano, parce que l’auditeur va se demander : “Mais où est Jean-Michel?” Et c’est ça maintenant, Jean-Michel, pas seulement un musicien qui improvise sur son piano, mais aussi quelqu’un qui compose pour d’autres instruments. » nina « J’étais dans un chalet avec des amis et il y avait cette petite fille, Nina. Je jouais du piano, mais je ne devais pas jouer trop fort et ça m’a inspiré quelque chose de délicat. Dans ce cas-ci, l’aubade n’est pas simplement une pièce qui se joue à l’aube, mais plutôt une musique qui salue le matin de la vie. Le titre est écrit en minuscules, comme les autres, parce que nous sommes tous au même niveau. Ici, le hautbois est aussi important que la contrebasse, par exemple, et pour moi ça entraîne une certaine douceur, ça enlève toute forme de rigidité. » flâneur « C’est un peu un clin d’œil à Chilly Gonzales, avec un côté pop et même un peu jazzé, ce qui n’est pas mon habitude. Contrairement à “passepied”, qui serait peut-être la plus classique, celle-ci est décoincée et nonchalante, presque sensuelle. C’est le flâneur, tel que le voyait Baudelaire, qui arpente sa ville durant la pandémie et qui fait des découvertes incroyables. » ouessant « Lors de ma plus récente tournée, j’ai eu la chance de faire une résidence chez Yann Tiersen, qui habite à Ouessant, l’île la plus à l’ouest de la France. J’ai été happé par la beauté du lieu, ses caps rocheux, les grandes vagues, la puissance de la nature, ou plutôt l’impuissance des humains. Il y a là-dedans quelques notes du thème de la série The Office, que j’écoutais à ce moment-là, mon imaginaire qui vagabonde à Ouessant, mon cœur qui est dans les Andes, et mes racines ancrées dans cette musique traditionnelle québécoise qui coule dans mes veines. » if you build it, they will come « Il y a ici une double référence, d’abord au film Le champ des rêves, avec Kevin Costner, mais aussi à ce que Dieu aurait dit à Noé qui se demandait comment rassembler les animaux dans son arche : “Si tu la construis, ils viendront.” Pour moi, ça signifie qu’il ne faut pas attendre, il faut se prendre en main et créer son arche; dans ce cas-ci, c’est l’album. J’ai composé les pièces, ç’a attiré les musiciens et créé un tout. C’est en fait toute la philosophie derrière ce projet. » amour « C’est une valse, la danse qui ouvre un bal ou un mariage. Le piano danse d’abord avec les cordes, puis arrive une partie des vents, et l’ensemble accueille ensuite les cuivres. Il y a cette volonté d’intégrer l’autre à la danse, constamment, et je pense qu’il n’y a pas de plus belle marque d’amour que cet accueil, cette intégration. » yanni « Une référence directe à Yanni, le compositeur grec, dont nous avions un CD à la maison quand j’étais jeune. C’est grâce à lui que j’ai connu la musique orchestrale. Il compose souvent en 7/8 et j’ai adopté cette signature rythmique ici en son honneur. C’est quelque chose d’un peu kitch, de surdimensionné comme les pyramides d’Égypte, mais aussi de vulnérable. » absinthe « L’aubade n’est pas toujours associée au début du jour, ça peut aussi être la fin d’une très longue journée, après une soirée qui s’est étirée jusqu’au lever du soleil. On est un peu chez Felix Mendelssohn, mais aussi chez Joe Hisaishi ou même Chopin, et c’est chantant, comme chez Barbara… C’est ce mélange-là, quelque chose d’un peu indescriptible. » carrousel « Ici, je pense à Satie, qui est le précurseur de ce genre de musique “néo-classique” qu’on écoute aujourd’hui. Comme dans “absinthe”, il y a une ambiance qui nous ramène à Paris, au début du XXe siècle. Dans la première pièce de l’album, tout le monde est là, mais plus on avance et plus les musiciens s’en vont, alors il ne reste plus ici que le piano et les cordes, et celles-ci s’engagent dans une mélodie qui va culminer dans une grande embrassade en si majeur! Ça exprime à la fois la naïveté, la simplicité et la beauté. » doux « “doux”, c’est la brisure initiale, celle qui ressemble le plus au “vieux Jean-Michel” mélancolique, seul derrière son piano. Il y a des vents, mais très éthérés, on est après l’absinthe. En fait, la pièce évoque la rupture qui a tout amorcé. On se dit que c’est bien beau la mascarade du bonheur, la joie et le printemps, mais quelques fois les larmes viennent aux yeux, et on voit qu’il y a peut-être une petite blessure derrière, une tristesse au fond de tout ça, qu’on regarde malgré tout avec optimisme, avec la volonté d’en faire quelque chose de positif. »

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