1969

1969

Le producteur et auteur-compositeur montréalais Connor Seidel a bâti sa réputation en collaborant avec certains des artistes québécois les plus branchés, comme Charlotte Cardin, Matt Holubowski, Les sœurs Boulay et Elliot Maginot. N’empêche, il a fini par se lasser de passer d’une pige à l’autre. « J’avais vraiment envie de travailler sur un projet qui s’étalerait sur trois ou quatre ans de recherches plutôt que de faire un autre sprint de deux ou trois mois », explique-t-il à Apple Music. C’est avec le polymorphe 1969 Collective qu’il a concrétisé ce désir, et le résultat est un album concept consacré au point final des années 60, une époque douce-amère d’innocence et de bouleversements. Créé avec la collaboration de complices de renom, l’album est inspiré par des légendes du folk rock comme Joni Mitchell et Nick Drake, et leurs contreparties québécoises, notamment Jean-Pierre Ferland et Robert Charlebois. « Je me suis demandé pourquoi plus personne ne fait des albums comme ça de nos jours », explique l’artiste. En voici au moins un, et son concepteur nous invite à découvrir 1969 en sa compagnie, une pièce à la fois. Deux Cœurs Vagabonds (1969 Collective, Ariane Moffatt) « On a écrit ça la première fois qu’on s’est rencontrés. C’est fou à quel point ç’a vraiment cliqué entre Ariane et moi. Musicalement, on s’est inspirés du duo québécois Jim et Bertrand, avec l’idée de fusionner la mélodie de la guitare classique et celle de la voix. C’est très axé sur les arrangements de cordes et ça évoque le besoin de retrouver la nature et de s’évader. On l’a enregistrée sur un toit et c’est les oiseaux qui étaient autour de nous qu’on entend dans la chanson. » Tu Danses, Condessa (1969 Collective, Safia Nolin) « Safia a rencontré une femme trans, Liberia, qui était originaire du Mexique et qui se faisait appeler la Comtesse du Nord. Elle parlait de sortir pour boire et danser de manière quasi biblique. Les arrangements de cordes sont imposants et c’est librement inspiré de “Moon River” et de la bossa nova. C’est comme une synthèse entre le folk et le jazz. » Provincetown (1969 Collective, Elliot Maginot) « Ça fait plusieurs années qu’Elliot et moi on travaille ensemble. Notre idée de départ pour celle-là était très sombre et lourde, comme du Nick Drake. Ça parle d’un homme gai de Boston qui, vers la fin des années 60, est marié, a des enfants et va à Provincetown pour rejoindre son amant. Elliot voulait la rendre un peu plus légère, alors on y a ajouté un Wurlitzer, des percussions et une flûte qui se font entendre de temps en temps. » Même les Loups versent des Larmes de Joie (1969 Collective, Louis-Jean Cormier) « J’ai parlé d’un documentaire sur Nick Drake dont la dernière scène se passe dans un cimetière à Louis-Jean. Son dernier album était très influencé par la mort de son père et c’est lui qui a trouvé la phrase titre, “Même les loups versent des larmes de joie”. On voulait quelque chose de rétro indie. On l’a enregistrée en deux prises, guitare et voix, sans métronome. C’est presque effrayant à quel point le résultat final est parfait. » Interlude I (1969 Collective, Philippe Brault) « J’adore les interludes et c’est Philippe Brault qui était responsable de la création des interludes I et III de A à Z. Il y a apporté une nouvelle couleur qui a influencé la direction de l’album. La pièce est portée par un équilibre magnifique entre les flûtes, les cordes et les éléments percussifs. C’est comme une bouffée d’air frais. » Post Mortem (1969 Collective, Claudia Bouvette) « Claudia est une amie proche. Elle s’est mise à écrire plein de chansons après une séparation très douloureuse. Je lui ai dit : “Claudia, il faut trouver une façon de mettre un point final à ce chapitre de ta vie.” Avec cette pièce, on tourne non seulement la page sur cette relation, mais aussi sur nos discussions à ce sujet. C’est tellement excessif; ça sonne comme la chanson thème de James Bond “You Only Live Twice”, chantée par Nancy Sinatra. C’est Éveline Grégoire-Rousseau des Barr Brothers qui joue de la harpe. » Fatal Line (1969 Collective, Half Moon Run) « C’est la seule chanson avec une vraie batterie. Sur le reste de l’album, les percussions sont très subtiles. J’essayais de faire quelque chose qui ressemble à du folk jazz sans prétention et je suis tombé sur deux albums de Bob Dylan sur lesquels il y a de l’harmonica et cette approche gauche-droite du traitement stéréo. C’est sûr que Half Moon Run a un son explosif et imposant, mais on a utilisé une disposition un peu étrange avec la batterie à droite et les claviers à gauche pour que tout le monde ait son petit espace. On ne mixe plus comme ça de nos jours, mais ça permet de dompter ce côté explosif. » Pleure Pas Pour Moi (1969 Collective, Les sœurs Boulay) « Cette chanson est l’exemple parfait d’une musicalité complexe avec des paroles très simples. Les sœurs Boulay chantent “pleure pas pour moi” et c’est des voix d’enfants qui leur font écho. Elles le chantent d’une certaine façon et ensuite quelque chose change dans la musique. L’idée leur est venue d’un homme qu’elles ont rencontré dans un café et qui avait quitté la Tunisie pour le Canada. Il avait acheté ce café et décidé de s’installer ici. Il disait : “Pleure pas pour moi, c’est le bon choix que j’ai fait.” Ça parle d’amour-propre et de confort. Le morceau est inspiré de Jean-Pierre Ferland, avec ses arrangements oniriques de cordes, de guitare classique et de flûtes champêtres à l’anglaise. » Grande Ivresse (1969 Collective, Jason Bajada) « Plein de gens n’aiment pas Neil Diamond et ne pensent qu’à “Sweet Caroline”. Jason m’a fait découvrir son album intitulé Brother Love’s Travelling Salvation Show. Quentin Tarantino a utilisé une de ces chansons dans Django déchaîné (« Django Unchained »). C’est un album impressionnant qui est sorti en 1969. C’est éclaté, de très bon goût, les arrangements de cordes sont hallucinants, et il y a ces refrains pleins de “la la la”. C’est super américain et près de la nature. Je suis carrément tombé en amour avec cet album et j’ai eu envie de faire un truc dans le même genre. » Interlude II (1969 Collective, Joseph Mihalcean) « Joseph Mihalcean est un guitariste incroyable qui a accompagné plein de gens : Ariane [Moffatt], Safia [Nolin], Woodkid... Tout le monde sait c’est qui. Quand tu entends son jeu de guitare, tu sais tout de suite que c’est lui. Sa façon de jouer et son choix de dispositions d’accords sont subtilement émotifs. » Vers La Beauté (1969 Collective, Matt Holubowski) « Le titre “Vers La Beauté” incarne parfaitement le thème de l’album. Dans cette chanson, Matt décrit carrément pourquoi les belles choses méritent notre attention même si on est facilement distraits de nos jours. Pourtant, aller dans la nature et observer les nuages ou les chutes d’eau peut être tellement thérapeutique. L’arrangement de cordes sur ce morceau est mon préféré de l’album. Il se manifeste par petits éclats, un peu comme des nuages ou une brise qui souffle sur la pièce. Matt nous entraîne dans un long et lent périple avec sa voix de conteur. C’est très Nick Drake. » Ullutamaat (1969 Collective, Elisapie) « Elisapie est la personne la plus renversante qui soit, autant physiquement que dans la façon dont elle s’exprime. Chaque mot qu’elle prononce semble porté par des années de réflexion. Elle m’a fait découvrir un album intitulé Just Another Diamond Day, par une artiste du nom de Vashti Bunyan, sorti en 1970. Elisapie voulait faire une chanson en inuktitut qui représente le paysage inuit. Je considère qu’on a plus affaire à un poème sur de la musique, ici. C’est l’histoire d’une femme qui marche et les saisons changent autour d’elle à mesure qu’elle avance dans la vie. » Interlude III (1969 Collective, Philippe Brault) « Au départ, les interludes I et III formaient une seule pièce, mais on a décidé de la scinder en deux. Cette partie est plus agressive, plus forte. C’est cool de finir l’album sur cette note; ça nous ramène 20 minutes en arrière étant donné que ça commence avec la même mélodie de flûte. On sent une certaine nostalgie, mais tout l’album est nostalgique. Il a quelque chose de familier parce qu’on pense l’avoir déjà entendu et, en fait, c’est un peu le cas. »

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