OXYMORE

OXYMORE

Après plus de cinquante ans de carrière, Jean-Michel Jarre sort son 22ᵉ album studio ce vendredi 21 octobre. Un projet ambitieux puisque Oxymore mêle la musique à la réalité virtuelle par le biais de l’audio spatial. L’artiste emblématique de l’électro française revient, pour Apple Music, sur sa carrière et son envie de créer un univers musical dans le métavers. L’album s’appelle Oxymore, une figure de style qui allie deux mots contradictoires, alors qu’est-ce que tu essaies de réconcilier avec ce projet ? Cet album est un hommage aux racines de la musique électro-acoustique française, qui a complètement transformé la musique telle qu’on la fait aujourd’hui. Et cette transformation passe par l’oxymore, c’est-à-dire l’intégration de bruits ou de sons qui n’ont rien à voir avec la musique traditionnelle. On peut prendre par exemple le bruit d’un avion, le son d’un oiseau et la mélodie d’une clarinette pour en faire de la musique. Mais pour cela, il fallait introduire les notions de sound design et de sound effect. Et cette idée est née en France à la fin des années 40 avec des artistes comme Pierre Henry ou Pierre Schaeffer. Leurs découvertes sont aujourd’hui utilisées dans tous les courants musicaux : hip-hop, électro, pop, techno, etc. Puisque j’ai eu la chance d’avoir Pierre Schaeffer comme professeur quand j’étudiais au groupe de recherche musicale, j’avais envie de faire un clin d’œil à cette époque et de la mêler à toutes les techniques immersives d’aujourd’hui comme l’audio spatial. Que l’on soit musicien ou auditeur, on a toujours eu une manière frontale d’envisager la musique. Quand on se représente un orchestre symphonique par exemple, tous les instruments sont en face de nous. La spécificité de cet album, c’est que je l’ai conçu dès le départ pour une écoute à 360°. C’est-à-dire que dès l’écriture, je réfléchissais aux éléments de l’orchestration et à leur positionnement dans l’espace sonore. Et je suis absolument convaincu que c’est cette écriture qui va changer la manière de composer et de produire la musique à l’avenir, notamment avec le métavers. Notre quotidien sera de plus en plus lié aux techniques immersives. Pierre Henry a évidemment eu une influence majeure dans le développement de ta carrière (tu lui as même rendu hommage dans le premier titre de cet album et dans le projet Brutalism). Mais quand tu regardes en arrière, comment tu penses que la musique électro a évolué depuis les années 70 ? Oxymore est effectivement un hommage à Pierre Henry. Peu connu dans le monde, celui que l’on considère comme l’inventeur de la musique concrète et de l’électro était un véritable avant-gardiste qui a, pour ainsi dire, inventé le sampling. Son premier titre avec Pierre Schaeffer, « symphonie pour un homme seul », était en fait un mix d’une dizaine de 78 tours, les ancêtres des vinyles. Sur scène, il les faisait passer à l’envers, à l’endroit, les ralentissait ou les accélérait. Pour le dire plus simplement : il scratchait déjà. C’était le premier DJ, cinquante ans avant la naissance de cette pratique. La technologie dicte les styles. C’est parce qu’on a inventé le violon que Vivaldi a pu écrire ses symphonies, de même avec la guitare électrique et Jimi Hendrix. Ensuite, l’invention du synthé a permis à des gens comme moi de faire de la musique. Et je pense que les techniques immersives et l’intelligence artificielle vont modifier encore la manière dont on conçoit la musique. Tous tes projets cherchent à repousser les limites de la musique par le développement technologique. Avec cet album qui utilise l’audio spatial, et conçu spécifiquement pour le métavers, quels sont les défis que tu as dû relever ? Très bonne question ! Dans l’histoire de la musique électronique, on a passé notre temps à pirater des outils qui n’étaient pas faits pour nous. Ça a commencé par l’utilisation d’un micro et d’un magnétophone qui n’étaient pas faits pour la musique, le sampling ou l’échantillonnage. Puis on piquait des oscillateurs et des filtres dans les stations de radio pour fabriquer des synthés de fortune. Et aujourd’hui, c’est encore la même chose. Dolby Atmos, par exemple, a été développé pour le cinéma, pas pour la musique. Pour réaliser Oxymore, on a dû se rapprocher des ingénieurs de Dolby afin de détourner une technologie qui n’était pas faite pour nous. L’immersion reste l’apanage des salles de cinéma, mais nous avons aussi besoin de nouveaux outils adaptés en musique. Mon travail sur cet album a été de défricher ces nouvelles possibilités. Tu enchaînes les titres « SEX IN THE MACHINE » et « ZEITGEIST » (littéralement : dans l’air du temps). Penses-tu que notre désir des machines, notre fascination pour les robots, est particulièrement dans l’air du temps ? Après la crise sanitaire, on a tous senti un changement de paradigme. Notre rapport à la culture par exemple, au cinéma et à la musique en particulier, est en train d’évoluer. Les grands rassemblements que j'ai connus dans ma carrière appartiennent déjà au passé, notamment pour des raisons écologiques et de sécurité. Pour se retrouver, nous avons besoin de solutions hybrides. Pour moi, le métavers est un mode d’expression en soi, qui ne concurrence pas le spectacle physique. Au fond, on réactive le débat entre théâtre et cinéma, en utilisant les mêmes arguments pour discréditer l’évolution des genres. De la même manière qu’on disait des acteurs de cinéma à l’époque des frères Lumières qu’ils n’étaient pas de vrais acteurs puisqu’ils ne montaient pas sur scène, on dira des musiciens utilisant le métavers qu’ils ne sont pas de vrais musiciens. Mais ces attaques n’ont pas empêché le cinéma de devenir l’art majeur qu’il est aujourd’hui. C’est la même chose pour le métavers. Le développement technologique nous permet aussi de démocratiser les outils de production et de diffusion. Si un jeune créateur peut maintenant imaginer, produire et diffuser sa musique depuis sa chambre, il pourra bientôt y tenir un concert avec une vraie scénographie. La sophistication des technologies numériques ne nous entraîne pas nécessairement vers une mécanisation ou une robotisation de la société. On a tendance à dire qu’hier, c'était mieux et que demain, ce sera pire. Mais on ne serait pas en train de se parler si c’était le cas ! Ce nouvel album a été pensé pour être joué dans l’OXYVILLE, ta propre ville virtuelle au sein du métavers, et il a été réalisé grâce à la technologie Dolby Atmos pour renforcer l’immersion de l’auditeur. Comment le métavers et le Dolby Atmos vont-ils faire évoluer l’industrie musicale selon toi ? Ce qui est intéressant quand on parle du métavers, c’est que tout le monde à en tête l’image, mais personne ne pense au son. Pourtant, le champ visuel s’étend à 140° alors que nous captons le son à 360°. Donc, nous rentrons avant tout dans un univers par le biais du son. C'est pour ça que les outils sont aussi importants. Toutes les grandes entreprises comme Dolby et Apple réalisent les enjeux de ce marché. Le métavers est pour toi un lieu d’échanges et de rencontres. Est-ce qu’il t’aide à créer de la musique ? Est-ce pour toi un travail solitaire ou collaboratif ? Je travaille avec une start-up pour créer un métavers ouvert, propice aux échanges et au partage. Notre objectif est d’inviter d’autres musiciens pour faire des concerts, des masterclass ou simplement des rencontres avec leur public. On n'en parle pas assez, mais il y a une dimension sociale très importante avec le métavers puisqu’il casse les distances. Toutes celles et ceux qui sont isolés pour des raisons sociales, géographiques ou de handicap peuvent se connecter et se retrouver pour partager des émotions communes, le temps d’un concert, d’un spectacle ou d’une exposition. Lors de la bêta d’Oxymore qu’on a fait dans le métavers, il y avait, dans la même pièce, un homme qui vivait à Shangaï, un à Rio, un autre à Seattle et une fille tétraplégique qui vivait à Manchester. C’était son premier concert et elle a pu danser toute la nuit. C’est ça, la magie du métavers. Tu as fait l’un des premiers concerts au monde dans le métavers avec « Welcome to the other side ». Est-ce que tu peux nous raconter comment se passe un tel concert ? Pourquoi est-ce devenu aussi important pour toi ? Ce qui est extraordinaire, c’est d’être à la fois dans le monde physique avec tes instruments et sur une scène devant des avatars. On pourrait se dire que c’est irréel, froid et complètement artificiel. C'est tout l’inverse. N’oublions pas que les avatars dans le métavers sont les jumeaux numériques de personnes comme toi et moi. Le public en face de toi est donc un vrai public, il tape des mains, siffle et réagis à ta musique. Si bien qu’au bout de cinq minutes, j’étais comme sur une vraie scène. J’avais le trac de la même manière et je ressentais l’excitation face au public qui réagissait à ce que je faisais. « Welcome to the other side » était pour moi une expérience de scène augmentée, parce qu’elle était vécue à la fois dans le monde physique mais aussi dans le monde virtuel. Arrivé à ton 22ᵉ album, que tu décris comme ton projet le plus ambitieux jusqu’ici, comment tu envisages la suite de ta carrière ? Je n'envisage pas la suite parce que je n’ai jamais envisagé ma vie de musicien comme une carrière. Pour moi, c'est une suite d’expériences. Et comme je ne suis pas dans la nostalgie, je ne reprendrais pas mes anciens projets. Je vais continuer à aller de l’avant, avec la même excitation de sale gosse que j’ai depuis l’adolescence. Le développement de l’intelligence artificielle et du métavers nous réserve bien des surprises. Sky is the limit !

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